La session Gallica-Graeca du colloque « Byzance et l’Occident », organisé par l’Eötvös-József Collegium (20–23 novembre 2023), arrivé à sa neuvième édition, produit également pour l’année 2023 une kyrielle d’articles cherchant à envisager le Moyen Âge comme un dialogue, un échange, parfois un affrontement entre l’Orient byzantin et l’Occident latin. Les thèmes récurrents incluront le bilinguisme des textes et des auteurs nés à la frontière souvent poreuse de ces deux grandes cultures, le mélange ethnique, social et religieux, ainsi que la complexe dialectique culturelle « croisée », non seulement sur un axe géographique horizontal (Est – Ouest), mais également sur un axe social vertical (culture savante – culture populaire). Les deux blocs culturels dans lesquels nous avons l’habitude de diviser le Moyen Âge tendent à disparaître au profit d’une culture polycentrique, polyphonique, à tous les niveaux, qui a caractérisé les siècles médiévaux. Ainsi, on assiste à l’émergence de nouvelles formes culturelles à partir de contextes à la fois symbiotiques et antagonistes (latin, roman et grec, écriture et oralité, grammatica et vulgaire, sacré et profane, etc.).
La Hongrie est sans aucun doute une terre de rencontres pour les cultures qui souhaitent se rencontrer (et se confronter). L’intervention de Peter Schreiner, dédiée aux multiples attaches (politiques, dynastiques…) entre la Hongrie et le Commonwealth byzantin met en lumière, par exemple, ce rôle joué par l’aire hongroise.
Une autre région d’interaction culturelle significative est le Sud de l’Italie, où se sont rencontrés non seulement des Latins (au sens large) et des Grecs, mais où s’est aussi insérée dans ce paysage déjà fragmenté la culture expansive normande. Au moins trois contributions sont consacrées à cette région : Gian Luca Borghese et Benoît Grévin réfléchissent aux présences grecques dans la chronique latine de Saba Malaspina ; Annick Peters-Custot et Michelle Szkilnik, pour leur part, nous présentent les Pouilles à travers la culture courtoise française, en particulier dans le Guillaume de Dole, où le monde oriental fait partie d’une pseudo-géographie ; enfin, Márton Rózsa utilise des bases de données informatiques pour ajuster la datation de certains événements historiques liés aux événements ecclésiastiques du sud de l’Italie grecque.
Comme la Hongrie et l’Italie, la Serbie constitue également une destination pour les influences venant à la fois de l’Est et de l’Ouest. Predrag Komatina aborde, selon une approche archéologique, la question de la présence byzantine dans le territoire de la préfecture d’Illyrie dans les Balkans au VIIe siècle.
En abandonnant le critère géographique (c’est-à-dire les terres de rencontre entre cultures), nous voyons comment même les contextes culturels peuvent devenir des terrains d’échange et d’intersection entre différentes manières de vivre et de penser la réalité. Le monde courtois, par exemple, est un véhicule d’internationalisme au Moyen Âge : nous le voyons de manière très efficace dans l’article de Sára Horváthy, qui place le jeu d’échecs au centre de ses évolutions entre Orient et Occident.
En nous déplaçant un instant vers la fin du Moyen Âge, je signalerai également un autre contexte intellectuel qui a servi de lieu d’échange culturel, l’Humanisme, qui naquit précisément à la suite de l’absorption du monde grec antique – médié par le Moyen Âge oriental – par les intellectuels italiens, et qui a parcouru le chemin inverse, de l’Occident vers l’Orient, en s’installant à la cour de Matthias Corvin en Hongrie : ainsi, on repère dans cette collection une riche contribution par Salvatore Costanza portant sur ce milieu culturel.
On peut donc continuer à chercher des contextes de confrontation au Moyen Âge. Ceux-ci se manifestent aucun doute dans les royaumes latins fondés lors des Croisades à partir de 1099. Deux contributions abordent ces sujets : celle d’Andrea Ghidoni, qui traite du Cycle de la Passion chypriote, produit dans un environnement grec à Chypre, mais utilisant des modèles du drame liturgique latin ; et celle d’Ábel Török sur la Chronique de Morée, avec la proposition intéressante d’étudier la variation manuscrite du texte grec, en supposant que la disposition différente et la mobilité de certains épisodes dans les divers témoins est le fruit d’une conception, pour ainsi dire, rhapsodique de cette œuvre historiographique.
Particulièrement pertinent pour les croisements culturels est le domaine religieux, où l’on peut naviguer entre les deux axes que j’ai mentionnés précédemment : non seulement entre Orient et Occident, mais aussi entre culture savante et profane. La contribution d’Ivana Komatina suit les ramifications serbes d’un motif hagiographique largement diffusé dans la mémoire médiévale européenne, celui des sept âges de l’homme. Le monde byzantin fut également un véritable foyer de saints corps, de reliques chrétiennes conservées jalousement et donc tout aussi convoitées en dehors de ses frontières, mais souvent également généreusement données à des fins diplomatiques : c’est le cas du corps de Jean l’Aumônier, dont les restes, conservés dans la cathédrale de l'ancienne Presbourg, furent examinés par l’archevêque d’Ohrid Abraham Mesapsa en 1629, et aujourd'hui par Vratislav Zervan.
Personnes, corps saints, peuples, langues, jeux, mais aussi, et surtout, manuscrits voyagent. Alfonso Lombana Sánchez examine les œuvres grecques traduites en latin par Janus Pannonius et conservées dans l’un des manuscrits actuellement détenus par la Biblioteca Capitular y Colombina de Séville, qui a une origine hongroise.
Quelques articles sont également consacrés à l’héritage byzantin de l’époque moderne et en particulier à la byzantinologie. La contribution d’Isabel Grimm-Stadelmann offre une perspective sur un aspect surprenant de l’héritage byzantin entre les XVIIIe et XIXe siècles : certains érudits grecs, dont les recherches ont façonné les débuts des études byzantines, furent également des pionniers dans l’histoire de la médecine, ainsi que d’éminents médecins qui se sont révélés non seulement des autorités dans le domaine médical, mais aussi des historiens et des philologues. Quant à Erika Juhász, elle aborde la correspondance entre le byzantiniste Franz Dölger et le philologue classique et byzantiniste Gyula Moravcsik, qui a enseigné dans les années 20 et 30 du siècle dernier à l’Eötvös-József Collegium.
Cinq contributions enrichissent la collection en sortant du périmètre strictement byzantin. László Horváth revient sur un domaine dont il est un maître reconnu, l’étude éditoriale des œuvres d’Hypéride, avec une discussion sur la date de composition du discours Pour Euxénippe. Linda Németh nous ramène au Moyen Âge, mais à celui purement ancien-français, en enquêtant sur la fonction des rêves qui anticipent la narration dans les chansons de geste. Alfred Grimm retrace les sources du dessin d’un obélisque décoré de pseudo-hiéroglyphes réalisé par Giovanni Antonio Dosio (1533–1611). Enfin, Julie Minas participe aux actes avec deux contributions : l’une sur les éléments platoniciens des Lettres érotiques de Philostrate ; la seconde est une exploration de l’interprétation philosophique de l’Iliade par Simone Weil.