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Julie Minas École Normale Supérieure Paris, Université Paris IV – Sorbonne Université, France
Centre Byzantium, Eötvös József Collegium (ELTE), Budapest, Hungary

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https://orcid.org/0009-0004-3000-5897
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Abstract

This article analyses an article by Simone Weil written in 1937–1938 entitled 'The Iliad or the poem of force'. The aim is to show that Simone Weil's reading of the Iliad is essential for understanding the genesis of her own thought, and in particular of her concept of force, although it appears in other contexts where there is no question of Hellenism, and although other possible inspirations can be identified. On the other hand, he argues that Simone Weil's analyses are highly refined and interesting in their own right, insofar as they highlight essential points of the Homeric text, despite their partiality.

Abstract

This article analyses an article by Simone Weil written in 1937–1938 entitled 'The Iliad or the poem of force'. The aim is to show that Simone Weil's reading of the Iliad is essential for understanding the genesis of her own thought, and in particular of her concept of force, although it appears in other contexts where there is no question of Hellenism, and although other possible inspirations can be identified. On the other hand, he argues that Simone Weil's analyses are highly refined and interesting in their own right, insofar as they highlight essential points of the Homeric text, despite their partiality.

« Quoi de plus proche de nous que la Grèce ?

Elle est plus proche de nous que nous-mêmes »1

1 Introduction

Dans un article écrit en 1937 et 1938, Simone Weil s’appuie sur l'Iliade pour construire le concept de force.2 À l’aube du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de montée des fascismes en Europe, Simone Weil s'engage dans la résistance, et passe la guerre à Casablanca, puis à New York, et finalement à Londres, où elle décède en 1942. Elle s’est imposé au cours de cette période une grève perlée puis totale de la faim, par solidarité avec les Français rationnés. L'article « L’Iliade ou le poème de la force »3 est publié en novembre 1945, soit trois mois après le lancement de la première bombe atomique sur Hiroshima, dans une petite revue new yorkaise intitulée Politics. Il serait erroné de qualifier cet article de texte d'actualité, car sa portée, équivalente à celle du concept de force dans sa philosophie, est de toute évidence beaucoup plus générale. Le geste d'écriture de Simone Weil, cependant, est significatif, il est celui d'un retour au texte homérique pour y trouver un miroir du présent. L’article s'ouvre sur le propos suivant :

Ceux qui avaient rêvé que la force, grâce au progrès, appartenait désormais au passé, ont pu voir dans ce poème un document ; ceux qui savent discerner la force, aujourd'hui comme autrefois, au centre de toute histoire humaine, y trouvent le plus beau, le plus pur des miroirs.

Il s'agit en effet pour l’autrice de montrer que la réalité dépeinte par l'épopée homérique est encore d'actualité au XXe siècle, mais aussi, pour penser son époque, de procéder à un pas de côté, de prendre un recul essentiel.

Les textes de Simone Weil ont longtemps été analysés en tant qu’ils proposent une réflexion en lien avec le socialisme d’une part, et le catholicisme, ou plus généralement la chrétienté et la spiritualité, d’autre part. Or, depuis quelques années, plusieurs commentateurs s’accordent à considérer que la partie vraiment constructive de sa pensée trouvait ses origines et inspirations dans la philosophie et la littérature grecques. Elle leur a en effet consacré expressément plus de la moitié de son œuvre, ainsi que d’innombrables mentions et allusions dans les œuvres dont ce n’est pas l’objet. La première étude à rendre ses lettres de noblesse à l’hellénisme de Simone Weil est ainsi un article de Pierre Salvinel publié en 1960.4 Il a été suivi un peu plus de vingt ans plus tard par un article important d’Anna Chiara Peduzzi.5 Ont été publiées depuis plusieurs études portant sur des corpus spécifiques, notamment sur Platon, les pythagoriciens et les stoïciens.6 Fernando Rey Puente a réalisé en 2007 la dernière monographie sur les liens entre les écrits de Simone Weil et la Grèce.7 Ces travaux ont permis de mettre en évidence le fait que Simone Weil est une helléniste non pas au seul sens de philologue – quoique sa maîtrise de la langue grecque soit excellente, elle traduit d'ailleurs elle-même tous les passages qu’elle cite –, mais en un sens plus large qui permet de la considérer comme lectrice capable d’analyses très fines et justes des textes. À force de fréquenter ces textes, à force de science mais aussi d’amour à leur égard, elle a abouti à une lecture créatrice8 qu’elle utilise dans la construction de sa propre pensée.

Cet article se propose d’examiner la façon dont Simone Weil aborde le texte homérique dans l’article mentionné « L’Iliade ou le poème de la force ». D’une part, sa lecture alimente sa propre pensée pour la construction de sa philosophie, mais d’autre part, elle est aussi très intéressante pour ce qu’elle met en évidence du texte homérique. Nous voudrions montrer que, loin de distordre le texte homérique, Simone Weil en a une perception très fine et très juste, quoiqu’orientée. Pour développer sa pensée propre, elle pense avec Homère et à partir d'Homère. Il s’agira donc de revenir au texte grec de l'Iliade, notamment aux chants XXII et XXIV, pour le confronter aux analyses auxquelles procède la philosophe, et montrer en quoi elles contribuent à lui donner un éclairage particulier. Ce travail s'inscrit de ce point de vue dans une tradition philologique de lecture et d’analyse de l’Iliade qui se veut attentive à la compréhension de cette œuvre comme contenant un potentiel critique à l'égard de son milieu de genèse, qui s’inscrit notamment dans la lignée des travaux  de Pierre Judet de la Combe.9 C'est précisément dans la brèche ouverte par ces potentialités que s'engouffre Simone Weil.

Cet article examine la façon dont Simone Weil puise dans l’Iliade les ressources dont elle a besoin pour construire son concept de force, sans tenter de le faire correspondre avec un terme grec en particulier qui pourrait être traduit par force. Pour ce faire, l’autrice prend appui sur deux éléments de nature différente : d’une part, la structure, la composition d’ensemble de l’Iliade, à laquelle elle confère en propre un sens très fort ; d’autre part, certains personnages et la façon dont ils sont caractérisés dans le texte homérique.

2 La colère d’Achille : une restriction thématique pour définir la force

2.1 Une réinterprétation forte de la restriction thématique

Le thème, unique, généralement admis comme tel, de l'Iliade est « la colère d’Achille », ainsi que cela est annoncé dans le fameux prologue :

10

C'est un fait compositionnel majeur, car cela signifie que, de la guerre de Troie, n’a été retenue qu'une séquence très brève de 52 jours, sur les dix années qu’a duré le conflit, et le texte s’en tient rigoureusement à cela. Ainsi n’y figure notamment pas la mort d'Achille, qui aurait été un épisode nécessaire si le poème avait eu comme thème la gloire d’Achille et son culte plutôt que sa colère. Il y a de plus une tension forte entre l’étroitesse de la matière, le caractère temporel du récit, et l'universalité des questions abordées. Il apparaît donc que c'est un thème de nature réflexive plus que narrative : ce thème encadre le sens, le définit, il n’est pas un simple objet de narration.11

Simone Weil s’appuie sur cet élément thématique et compositionnel et le réinterprète en un sens fort. Selon elle, « le vrai héros, le vrai sujet, le centre de l’Iliade, c'est la force. » Cela signifie que, quels que soient les motifs apparents des individus, ce qui guide les actions des guerriers chantées par l'épopée, c’est une logique unique, impersonnelle et implacable, qu’elle appelle la force. Ainsi, l’Iliade ne chante pas à proprement parler les exploits des guerriers, ou du moins pas seulement, puisqu’elle le fait de toute évidence, mais elle n’est pas essentiellement une ode à leur bravoure et à leur courage. De fait, l’épopée met également en scène, à côté des exploits militaires, les souffrances fondamentales causées par la guerre, les pertes énormes des deux parties, le caractère vain de ces combats de dix ans pour la figure illusoire d’Hélène. Ces descriptions contiennent un potentiel critique réel, sur lequel Simone Weil s'appuie et qu’elle met au cœur de son interprétation, au détriment peut-être d'autres éléments tout aussi présents. C’est sur ce choix partial, mais intéressant et fécond, que nous allons nous pencher.

C’est en lisant de très près certains passages de l'Iliade que Simone Weil puise les éléments qui lui permettent de définir la force. Or, la force est un concept central de sa philosophie qui apparaît en premier lieu dans des contextes qui n’ont a priori rien à voir avec l’Iliade, Homère et la Grèce. La notion de force apparaît en effet pour la première fois sous la plume de Simone Weil en 1934 dans les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, même si ce texte ne sera publié qu’en 1955.12 Dans cet essai, elle s'appuie pour former ce concept sur un matériau tout à fait différent : son expérience personnelle du travail à l'usine, et les interactions interpersonnelles dont elle est alors témoin entre les ouvriers et ouvrières et les contremaîtres et ouvriers qualifiés. En 1937–1938, à l’aube du conflit mondial, il n’est pas surprenant que Simone Weil ressente le besoin de revenir à ce concept, qui trouve une pertinence pour décrire la situation présente – et à venir. Il peut sembler plus étonnant que pour ce faire elle s’appuie sur une source tout à fait différente : l’épopée homérique. Ceci s’explique selon nous par le fait que ces sources – l’usine, l’Iliade –, quoique très différentes, permettent d’extraire des caractéristiques du concept – la force – que Simone Weil cherche à cerner. C’est toujours la même force qui est à l’œuvre dans les différents contextes concrets à partir desquels elle développe sa pensée. Alors aux prémisses d’une guerre meurtrière entre des États, le retour au contexte de la guerre mythique qui a opposé les Troyens à l’union des Grecs fait sens. C’est ainsi en commentant certains passages sélectionnés avec soin dans l'Iliade que Simone Weil procède progressivement à la caractérisation de la force. Nous proposons d’organiser les éléments qu’elle relève en quatre caractéristiques principales, que nous allons exposer en détail.

2.2 Première caractéristique : l’impression de toute-puissance, l’ὕβρις

Tout d’abord, la force se caractérise par une assurance extraordinaire qui amène à faire un usage excessif de son libre arbitre, c’est-à-dire à décider de la vie ou de la mort d’un individu de façon impulsive, presque frivole, dans le but d’affirmer sa puissance. En somme, cela équivaut à affirmer : « je fais ce que je veux, et par exemple, je te tue si je veux, et voilà je t’ai tué ! ». Cette assurance est cependant tout à fait illusoire. Une part de puissance est bien réelle, et elle provoque de facto la mort, mais elle n’est jamais éternelle et absolue. Il s’agit donc d'une impression de toute-puissance : c'est une forme d’ὕϐρις. Ainsi, Polydamas évoque sa peur du « θυμὸς ὑπέρβιος » d’Achille,13 expression que l’on peut traduire par le « cœur fort à l’excès »,14 et dans laquelle le préfixe ὑπέρ indique le caractère excessif, la trop grande confiance en sa force. Ainsi, la force enivre celui qui la détient temporairement : il croit la détenir pour toujours et s’expose comme s’il était subitement devenu invulnérable. Homère place dans la bouche d’Hector des mots incroyablement – et ironiquement – lucides et clairvoyants à ce propos, avant qu’il ne retourne combattre :

Hector prend conscience qu’il a poursuivi à tort les combats, pensant qu’il pourrait l’emporter, et que c’était là une ἀτασθαλία : une folle présomption, un orgueil insensé, qu’il était trop confiant dans ses forces, ἧφι βίηφι πιθήσας. Il y a une ironie certaine à faire exposer par Hector lui-même à la fois la bêtise, la folie de ses actes passés et les événements à venir, à savoir sa propre mort, « αὐτῷ ὀλέσθαι ἐϋκλειῶς πρὸ πόληος ».

2.3 Deuxième caractéristique : l’auto-perpétuation de la force

C’est précisément cet excès qui est cause de ce que la force change de camp, de ce que lui succède nécessairement la soumission à la force d’autrui, celle de l’adversaire que l’on soumettait précédemment. La force est donc un concept dual, elle est à la fois « la force qui est maniée par les hommes » et « la force qui soumet les hommes ». Il y a une nécessité mécanique de rééquilibrage qui conduit à un échange des rôles. Les deux personnages, les deux camps sont donc illusoirement opposés puisqu’ils jouent tour à tour des rôles bel et bien antagonistes, mais tout à fait complémentaires et interchangeables, de sorte qu’il y a au fond une forme d'équivalence entre eux. Cela se ressent dans les propos d'Hector cités précédemment. Il envisage en effet comme deux issues prochaines possibles sur le même plan la mort d’Achille ou la sienne : « ἄντην ἢ Ἀχιλῆα κατακτείναντα νέεσθαι, / ἠέ κεν αὐτῷ ὀλέσθαι ἐϋκλειῶς πρὸ πόληος ». Les individus se trouvent en général dans l’impossibilité de prendre conscience de l’interchangeabilité de leurs positions avec celles de leurs adversaires, de la forme de communauté qui existe entre eux. Mais quand, dans une lucidité tragique, ils en ont conscience, il s’agit alors seulement de se résigner à ce sort : tuer ou être tué, exercer victorieusement la force ou se soumettre à celle de son adversaire. C’est ainsi ce que dit Hector : « pour moi, mieux vaudrait cent fois affronter Achille et ne revenir qu’après l’avoir tué, ou succomber sous lui, glorieusement devant sa cité ». L’une des thèses fondamentales de Simone Weil est ainsi que la force engendre la force, que chaque excès de force donne lieu à son retour de bâton. C’est là la dynamique propre de la force, son mécanisme, qui s’auto-entretient, un cercle vicieux, une escalade qui paraît sans fin.15

2.4 Troisième caractéristique : la chosification

Être soumis à la force d'autrui peut conduire à la mort, mais ce n’est qu’une des modalités possibles de l’exercice de la force. Celle-ci se caractérise plus généralement par le fait, pour une personne, d’être faite chose. Cela signifie pour un homme la perte de son statut d’individu, de sa part d’humanité, c’est-à-dire notamment la perte de la possibilité de penser ou de ressentir quoi que ce soit. Cette chosification est aussi à comprendre comme un processus physique. Il y a une destruction, une réduction au néant du psychisme mais aussi du corps des individus. Or, en Grèce antique, le corps est aussi un élément participant de la définition d’un individu : l’intégrité corporelle a autant d'importance que l’intégrité psychique, ces deux éléments sont liés et participent de la définition de chaque personnage.16 Or, sous l’effet de la force, le corps est également mis à mal, il perd son statut de chair vivante et retourne à la matière inerte, à la poussière. Cette troisième caractéristique est importante, elle justifie la définition générale de la force :

La force, c’est ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose. Quand elle s’exerce jusqu'au bout, elle fait de l’homme une chose au sens le plus littéral, car elle en fait un cadavre. Il y avait quelqu’un, et, un instant plus tard, il n’y a personne.

2.5 Quatrième caractéristique : l’inflexibilité de l’âme

La quatrième et dernière caractéristique de la force est comme l’envers, l’autre face de la précédente. Nous avons vu que l’individu qui est soumis à la force exercée par autrui se trouve chosifié ; corrélativement, l’individu qui exerce cette force ne perçoit plus celui qu’il réduit à l’état de chose comme une personne, et plus généralement, il n’est plus en mesure de percevoir l’humanité d’autrui, d’être touché par elle. Homère décrit ainsi Priam qui tente d’atteindre Hector:

Le vieux père d’Hector tente de le convaincre de ne pas aller combattre, de susciter sa pitié. Il lui parle avec émotion et avec des gestes : il s’arrache les cheveux, mais il ne parvient pas à fléchir l'âme d’Hector. Tant chez celui qui y est soumis que chez celui qui l’exerce, la force prend possession de l’âme, l’envahit toute entière, de sorte que rien d'autre ne peut plus atteindre réellement l’âme, la toucher. Dans les stimuli reçus du monde, personne et matière se confondent. Homère compare ainsi le guerrier Hector attendant son adversaire à un dragon ou serpent des montagnes attendant l'homme qu’il va dévorer.

Le mécanisme de rééquilibrage de l’usage excessif de la force implique que, quelques vers plus loin, ce sera au tour d'Hector d’échouer à atteindre un guerrier – Achille – détenteur de la force. Il signe ainsi son aveu d'impuissance face au cœur de fer d'Achille : « Oui, oui, je n’ai qu’à te voir pour te connaître : je ne pouvais te persuader, un cœur de fer est en toi. » [ἦ σ᾽εὖ γιγνώσκων προτιόσσομαι, οὐδ' ἄρ' ἔμελλον πείσειν· ἦ γὰρ σοί γε σιδήρεος ἐν φρεσὶ θυμός].17

3 Les différentes modalités d’exercice de la force : comment trouver une issue ?

Nous avons expliqué le mécanisme caractéristique de la mise en œuvre de la force. Celle-ci, lorsqu’elle s’est emparée du cœur d'un individu, le rendant de fer, semble invincible, impossible à faire ployer. Pourtant, Simone Weil identifie une issue possible à cette dynamique funeste, et la trouve également dans le texte homérique. Pour cela, il nous faut distinguer plus précisément les modalités d’exercice de la force et ce qui s’oppose à elles, toutes étant présentes dans l’Iliade, et soulevées par Simone Weil dans son article. Nous proposons d’en distinguer trois, que nous allons exposer successivement, tout en montrant que c’est en comprenant la façon dont la force est mise en œuvre que l’on peut saisir dans le même temps comment éventuellement en sortir.

3.1 Première modalité de mise en œuvre de la force : la mort

Nous avons déjà évoqué la mort : c’est la chosification littérale. Le personnage d'Hector, de par sa mort spectaculaire, l’illustre de façon exemplaire : le fait que son corps soit redevenu matière inerte est manifesté, exhibé par le sort réservé à son cadavre. Achille lui fait perdre ses contours, le force littéralement à redevenir poussière, κονία. En somme, « le héros est une chose traînée derrière un char dans la poussière ».

Simone Weil retraduit ce passage d’une façon qui marque de façon saisissante la poussière avec laquelle en vient à se confondre la tête, poussière de sa terre natale :

… Tout autour, les cheveux

Noirs étaient répandus, et la tête entière dans la poussière

Gisait, naguère charmante ; à présent Zeus à ses ennemis

Avait permis de l’avilir sur sa terre natale.

Ce sort n’est cependant pas le « privilège » du seul Hector et des personnages nobles. Bien au contraire, « c’est un tableau que l'Iliade ne se lasse pas de nous présenter », notamment à partir du chant XI, où « tout bascule », c’est-à-dire où les défis loyaux sont remplacés par des mêlées féroces autour de cadavres que l’on mutile, les guerriers se menacent réciproquement de se donner en pâture aux oiseaux et aux chiens.

La traduction de Simone Weil est ici encore intéressante car son choix de versification met en évidence en début de vers le verbe « gésir » et les vautours qui sont désormais l’apanage de ces corps gisants.

… les chevaux

Faisaient résonner les chars vides par les chemins de la guerre.

En deuil de leurs conducteurs sans reproche. Eux sur terre

Gisaient, aux vautours beaucoup plus chers qu’à leurs épouses.

En somme, les guerriers morts gisent [κείατο], leur chair inerte va être dévorée par les rapaces [γύπεσσιν], on assiste à une transformation de la chair vivante en chair consommable.18

3.2 Un effet de contraste : ce à quoi la force est opposée

La mention des épouses dans le passage que nous venons de citer crée un effet de contraste. Simone Weil montre qu’il est en fait récurrent dans l'Iliade, et ces effets de contraste rendent d’autant plus poignantes l'horreur et la violence des destructions opérées par la force. En effet, plusieurs chants alternent, de façon très fluide mais saisissante, les passages de description de la mort que nous venons d'analyser, et des passages de description de la vie « à l’arrière », de la vie de celles et ceux qui n'ont pas encore appris la mort de leurs proches, l'amour qu'ils leur portent, les soins et les douceurs qu’ils – de facto elles – leur réservent. Ainsi, succède à la description du massacre du cadavre d’Hector la description du bain qu'Andromaque, sa femme, lui préparait pour son retour du combat :

La traduction de Simone Weil des cinq derniers vers (442–446) est l’occasion de marquer le contraste entre « les cheveux Noirs […] répandus » dans la poussière d’Hector et les « beaux cheveux » des servantes d’Andromaque :

Elle criait à ses servantes aux beaux cheveux par la demeure

De mettre auprès du feu un grand trépied, afin qu’il y eût

Pour Hector un bain chaud au retour du combat.

La naïve ! Elle ne savait pas que bien loin des bains chauds

Le bras d'Achille l’avait soumis, à cause d'Athèna aux yeux verts.

Et cette fois encore, la versification choisie par Simone Weil est intéressante, elle met en évidence la naïveté d’Andromaque et l’oppose au « bras » du meurtrier de son mari. Mais dans cet amour et cette douceur, fussent-ils teintés de naïveté, se situe le premier élément pouvant mener à la sortie de l’escalade sans fin de la dynamique de la force. Nous y reviendrons dans l’étude de la troisième modalité d’exercice de la force.

3.3 Deuxième modalité de mise en œuvre de la force : la mort en suspens

Avant d’identifier le second élément pouvant initier une sortie de la dynamique de la force, il nous faut mentionner la seconde forme de mise en œuvre de la force, qui constitue un intermédiaire entre la douceur de l'amour familial et la « forme sommaire, grossière de la force » qu’est la mort. Entre ces deux extrêmes en effet, existe une force « combien plus variée en ses procédés, combien plus surprenante en ses effets », une force « qui ne tue pas ; c'est-à-dire […] qui ne tue pas encore ». Elle « va tuer sûrement, ou elle va tuer peut-être », mais « de toutes façons, elle change l’homme en pierre ». La description du combat entre Achille et Lykaôn en donne un exemple fappant : Achille menace de son arme Lykaôn qui le supplie, désarmé.

La traduction accentue encore davantage l’opposition entre Achille « immobile » et « l’autre », Lykaôn qui essaie de l’émouvoir, de toucher son coeur et se heurte à une raideur inébranlable :

Il pensait, immobile. L’autre approche, tout saisi,

Anxieux de toucher ses genoux. Il voulait dans son cœur

Échapper à la mort mauvaise, au destin noir…

Et d’un bras il étreignait pour le supplier ses genoux,

De l’autre il maintenait la lance aiguë sans la lâcher…

Ces passages décrivent l’« avant », le « juste avant » la mort, dont la durée n’est pas mesurable objectivement : elle peut durer de longues minutes, ou même des heures, ou quelques secondes, le temps s’arrête, tout est figé. Toute pensée, toute émotion est impossible, seule existe l’attente de la mort, l’âme et le corps sont figés, immobiles : même le mouvement moteur réflexe, le sursaut, est rendu impossible.

3.4 Troisième modalité de mise en œuvre de la force : la supplication, une voie de sortie

Pour trouver une issue au mécanisme de la force, en suivant la perspective de Simone Weil, il faut repartir d’une part de cette modalité intermédiaire de l’exercice de la force – celle qui n’a pas encore tué –, et d’autre part de la douceur et de l’amour des personnages de l’arrière – évoquées précédemment. Il s’agit alors de combiner ces deux éléments en une modalité très particulière de la force qui permet d’enrayer le cercle sans fin d’échange des rôles. Cette modalité est la supplication. Le suppliant vient se soumettre de son plein gré à la force d’autrui afin de lui présenter une requête. C'est une forme d'abnégation de soi au nom de l’affection, de l'amour pour autrui. Les motifs de la supplication mais aussi du don de soi sont de toute évidence également des motifs bibliques, et sont présents à ce titre dans d’autres œuvres de Simone Weil, notamment La Pesanteur et la grâce19 et le recueil publié sous le titre Attente de Dieu.20 Mais ici encore, la démarche philosophique de Simone Weil consiste à repérer des motifs, dans des contextes théoriques, littéraires et spirituels qui lui parlent, et à forger des concepts à partir d’eux, qui lui permettent de rendre compte de ses expériences de vie et de la situation présente. De ce point de vue, la littérature grecque est une source d’inspiration majeure, dans laquelle Simone Weil retrouve des éléments qu’elle peut aussi puiser dans le texte biblique. Elle émet d’ailleurs dans la Lettre à un religieux21 l’idée que la Grèce avait déjà les intuitions fondamentales du christianisme, que notre civilisation doit presque tout à l'Antiquité pré-chrétienne. Nous importe donc ici que Simone Weil voit dans l’Iliade une valorisation de l’attitude de soumission volontaire qui caractérise la supplication, quoique cette attitude soit également valorisée dans le christianisme et en particulier dans les Évangiles.

Mais si l’attitude de la supplication constitue clairement une modalité d’exercice de la force, qu’elle permette d’en sortir n’est pas évident. En effet, toutes les supplications de l’Iliade échouent à fléchir le supplié sauf une : celle que Priam adresse à Achille au chant XXIV. Elle est le point d’appui de la pensée de Simone Weil, de sorte qu’il nous est nécessaire de l’examiner précisément. La stratégie oratoire de Priam consiste à exprimer ses émotions, son amour d’une façon qui amène Achille à prendre conscience qu’il éprouve les mêmes émotions, et par là à s’identifier au personnage de Priam :

Hermès conseillait à Priam de supplier Achille au nom de son père, de sa mère et de son fils. Or, Priam ne suit qu'en partie ces conseils, car il choisit de n’évoquer que le père d’Achille, Pélée, avec lequel il s’identifie dans son discours. En cela, il est très proche du mot d’ordre du chant épique qui entend restaurer un lien souvent distendu entre les générations.22 Face à Achille, Priam parle de lui, il exprime ses émotions, son amour pour son fils, il se présente face à Achille dans toute son humanité, et accepte la vulnérabilité qu’elle implique. Mais il identifie ces émotions et cette humanité à celles du père d’Achille, de sorte qu’alors qu’Achille ne serait pas touché par un humain quidam face à lui, il est touché par le propos de Priam qui le renvoie à ses émotions propres, et plus précisément à ses émotions passées. En effet, depuis la mort de Patrocle, Achille ne dort plus, ne mange plus, et se nourrit de sa propre douleur : il est enfermé dans sa souffrance de sorte qu’il n'est plus sensible à quoi que ce soit d’autre.23

En faisant appel au fils qu’est Achille, Priam fait appel à une mémoire émotionnelle antérieure. Il se présente auprès d’Achille non comme un guerrier du camp adverse, ni même comme un allié, mais comme un vieil homme seul, similaire au père d’Achille Pélée, mais contrairement à lui, Pélée peut se réjouir en son cœur, car il peut espérer revoir son fils, alors qu’Hector, le fils de Priam, est déjà mort. Ce propos est d'autant plus efficace qu’il est d'une grande cruauté, puisque Thétis a prophétisé qu’Achille était appelé à mourir en pleine jeunesse peu après avoir tué Hector, ce qu'a aussi annoncé Hector peu avant de mourir : Achille sait qu’il ne reverra jamais son père. Il peut donc d’autant plus s’identifier à la douleur de Priam dont il sait qu'elle sera celle de Pélée dans très peu de temps. De façon paradoxale, c’est Achille qui éprouve envers Priam la pitié qu’Hector lui-même n’a pas pu ressentir lorsqu’au chant XXII Priam évoquait sa vieillesse pour tenter de fléchir Hector et de le convaincre de renoncer au combat contre Achille. C’est ce paradoxe qui signale la victoire absolue de Priam et le pouvoir de sa supplication.

3.5 La supplication : une gestuelle et une inspiration divine

La supplication de Priam est donc efficiente du fait de ses choix rhétoriques, mais aussi en tant qu’elle mobilise la gestuelle traditionnelle de la supplication d’une façon particulièrement pertinente dans le contexte :

Il s’agit bel et bien pour Priam de baiser les mains terribles, δεινὰς, meurtrières, ἀνδροφόνους d’Achille, et par métonymie le meurtrier lui-même, le meurtrier de son fils. Notons que ce contact de la main est un geste symbolique très fort qui est absent des autres scènes de supplication. Dans une construction circulaire, Priam clôt son discours de supplication en rappelant la valeur de son geste :

Priam affirme le caractère inédit de son geste : aucun autre homme sur terre n’a encore accomplit ce geste que lui a été capable d'accomplir, geste d’approcher de sa bouche les mains responsables du meurtre de ses enfants.

Concernant l’efficience de la supplication, ce geste est autant sinon plus important que le discours, ce qui est manifesté par la réponse d’Achille : « ἁψάμενος δ' ἄρα χειρὸς ἀπώσατο ἦκα γέροντα ».24 Celui-ci prend la main de Priam et l’écarte. Ce geste signifie d’ordinaire le refus d'une supplication, mais Achille le fait doucement, ἦκα, ce qui est le signe d’un fléchissement de sa part, d’une acceptation à venir.25 Il est intéressant de remarquer que Simone Weil traduit ce vers de la façon suivante : « Le prenant par le bras, il poussa un peu le vieillard ». Elle donne un sens assez fort au verbe ἀπωθέω, et un sens assez faible à l’adverbe ἦκα, qu’elle choisit de traduire par « un peu », ce qui éclipse l’idée de douceur. Cependant, si son choix de traduction insiste sur la violence de la réaction d’Achille, celle-ci n’est pas à mettre sur le compte d’une insensibilité. Au contraire, ce mouvement d’humeur d’Achille traduit, selon elle, le fait qu’il est « ému jusqu'aux larmes », mais qu’il n'a pas encore totalement cédé, de sorte que Priam est encore un suppliant, encore une chose à laquelle il peut retirer la vie à la moindre saute d’humeur. Le surgissement de l’humain, de l’émotion, de l’amour et de la douleur, pour celui qui n’était que force, ne peut se faire que selon la modalité de l’irruption soudaine, il nécessite une rupture forte. Quand il a finalement accepté et cédé à cette émotion, Achille renouvelle ce contact avec la main de Priam :

Par ce geste, Achille choisit de répondre positivement à la supplication de Priam. Lorsque Priam baise les mains d’Achille, c'est une demande, une invitation à s’unir à lui ; lorsqu’Achille lui retourne ce geste, il accepte, et procède à l'union. Il relève le vieil homme et en cela lui fait quitter sa posture de suppliant : Priam redevient l’égal d'Achille. Il y a encore quelques autres contacts entre les mains des deux hommes dans d'autres contextes dans la fin du chant. Du point de vue de Simone Weil, ce geste, humain, provoqué par des émotions d’amour et de souffrance, signe la sortie de la dictature de la force.

Cela nous ramène au tout début de notre démonstration, puisque la supplication de Priam est considérée comme le point culminant et l'aboutissement de l’Iliade, elle a une fonction de conclusion dans ce chant de clôture, dans la mesure où elle permet la résolution, la λύσις de l’intrigue déterminée par la colère d’Achille.26 En effet, pour venger la mort de Patrocle, Achille a tué Hector, son meurtrier, mais cette vengeance à elle seule ne résout rien. En termes weiliens, elle est à l’origine de la mort d’Hector, et perpétue ainsi la logique de la force qui engendre la force. Pour que l’Iliade prenne fin dans une perspective weilienne, il faut mettre fin à l’escalade sans fin de la force, de sorte qu’elle ne soit plus le guide des actions. Par conséquent, ce qui met fin à la guerre de Troie telle qu’elle est narrée dans l’épopée homérique, c’est la supplication.

Il convient de noter tout de même que les dieux interviennent dans cette supplication, même si Simone Weil omet ce point, puisque Priam est soutenu, encouragé, guidé par les dieux. Il ne nous semble cependant pas que la prise en compte de cet élément constitue une réelle objection aux analyses de Simone Weil. L’apparition nocturne de Priam est décrite comme un événement divin : « ὣς Ἀχιλεὺς θάμβησεν ἰδὼν Πρίαμον θεοειδέα· ».27 Priam est en effet θεοειδής, semblable à un dieu, une épithéte traditionnellement réservée à Achille, et suscite le θάμβος, manifesté par le verbe « θάμβησεν », soit un sentiment éprouvé le plus souvent par les mortels face à l’apparition d'un dieu. D’un point de vue weilien, cela nous semble pouvoir être compris comme une manifestation du fait que l’homme en tant qu’il est seulement humain est impuissant face à la force, à sa dynamique, à son mécanisme qui s’impose, de sorte que pour en sortir, il lui faut être plus qu’humain, ce que l’on pourrait formuler en termes platoniciens en disant que pour rompre la force, il faut faire appel au divin en l’homme.

4 Éléments sur les personnages de Priam et d’Achille

Il n’est absolument pas anodin que ce soient les personnages d'Achille et de Priam qui brisent la dynamique de la force. Simone Weil s’appuie sur le fait que ces deux personnages, alors même qu’ils ont une attitude dans une certaine mesure transgressive – le retrait des combats d'Achille suite à sa colère ; la décision de Priam de se soumettre de son plein gré à la force d’autrui, et avant cela sa tentative de convaincre Hector de ne pas aller au combat – ne sont pas dévalorisés, il connaissent même dans ces moments de dissidence leur ἀριστεία.28 Ainsi, lorsqu’il se laisse fléchir par la supplication de Priam, Achille se voit en fait accorder le plus grand honneur, κῦδος, ainsi que Zeus l’avait promis à Thétis au début de l'épopée, mais ce n’est pas l’honneur du vainqueur contemplant la soumission absolue du vaincu prosterné à ses pieds, mais celui d’un homme qui pourra enfin éprouver de la pitié et donner un sens à sa douleur en l’acceptant et en la surmontant.29 Ces deux personnages sont en mesure de ressentir des émotions très fortes, et notamment un amour absolu et inconditionnel, et leurs actions sont réglées sur cet étalon, et non sur la seule loi dictée par la force. Il était comme un prérequis que ces deux personnages soient en mesure d’être émus, d’exprimer et/ou d’accepter leurs émotions, de communier l’un avec l’autre, de s’identifier l’un à l’autre, de s’unir. Revenons donc un instant sur les caractéristiques propres de ces deux personnages, caractéristiques que Simone Weil trouve exprimées dans le texte homérique, et qu’elle utilise pour construire sa pensée, et en l’occurrence pour indiquer l’alternative à la force, la façon d’échapper à cette logique qui semble pourtant implacable.

4.1 Achille

Pour ce qui est d’Achille, rappelons que l'Iliade s’ouvre sur sa colère, c’est-à-dire sur une émotion forte, d’autant plus que cette colère est liée à son amour pour Briséis – on se souvient de la scène où il pleure auprès de sa mère. Cette colère a pour effet immédiat sa décision de se retirer de la guerre. Il est évident que cet acte ne relève pas d'un profond pacifisme : Achille reste un guerrier, qui est conscient de sa force et en fait un usage excessif, et qui a également un réel sens de l'honneur… et en l’occurrence il est tout à fait conscient du fait que son retrait va occasionner de nombreuses morts, probablement plus que s’il avait continué à combattre. Cependant, cet acte signifie tout de même qu’Achille est capable de ne pas faire usage de sa force, d’en remettre en question les lois, d’en distordre la dynamique.

4.2 Priam

Priam est un personnage trop âgé pour être concerné directement par la dynamique de la force, il n’a plus la force physique nécessaire pour participer aux combats. Et pourtant, ainsi que l’a remarqué et analysé David-Arthur Daix,30 Ménélas, au chant III, exige un duel contre le vieux Priam et non contre son fils Pâris, et à cette occasion il associe Priam à la βίη, dans l'expression « Πϱιάμοιο βίην »,31 qu’il propose de traduire par « sa force Priam » et que Paul Mazon traduit par « le puissant Priam ». Si Priam incarne la βίη face à ce fils, c’est d’abord évidemment parce que Pâris symbolise lui la fourberie, que la force que l’on croit déceler dans sa jeune et éclatante beauté d’Alexandre n’est qu’illusion, qu’il est trop puéril pour avoir de bonnes idées. Au contraire, la sagesse associée à l’âge avancé de Priam est valorisée dans l’Iliade, elle lui permet un recul certain, et participe de sa force propre. Mais il s’agit alors d’une force bien différente de celle qui caractérise les guerriers et que nous avons exposée dans cette présentation.

En effet, Priam est capable de renoncer à ce qui est traditionnellement considéré comme l’honneur, notamment lorsqu’il supplie Hector de ne pas aller au combat :

Ce discours est d’autant plus pathétique qu’il est tenu par un homme, par le père d’Hector et non sa mère – même si elle tient peu après un propos du même ordre.

5 Conclusion : Face a la force, la faiblesse forte

Priam et Achille incarnent, et par là prouvent la possibilité de la faiblesse forte32 qui constitue le pendant de la force. Ce pendant est présent à travers les personnages « de l'arrière », et notamment les femmes, les servantes, le passage mentionné où Andromaque prépare le bain en est un exemple emblématique. Cette voie de sortie du cercle vicieux de la force passe par la possibilité retrouvée de ressentir des émotions fortes, un amour inconditionnel, et d’orienter ses actions selon ces émotions absolues, et non selon le prestige, la gloire, l’honneur, et autres valeurs illusoires. Ce retour sur soi et sur ses émotions suppose aussi une pause par rapport à la trame temporelle des combats et du monde héroïque dont les valeurs révèlent leurs limites, pause que s’accordent tant Achille que Priam – en procédant à sa supplication –, que Simone Weil elle-même en retournant à la lecture d’Homère dans la période fortement troublée dans laquelle elle écrit.

Nous avons ainsi montré d’une part que l’Iliade est une source décisive pour la pensée de Simone Weil, et notamment pour la construction de son concept de force dans cet article de 1937–1938. Même si les mêmes éléments, ou du moins des éléments similaires, – le christianisme, l’usine – peuvent être trouvés dans d’autres de ses écrits, dans le contexte spécifique des tensions politiques de la fin des années 1940, c’est l’épopée homérique que Simone Weil juge plus à même de porter ses analyses. D’autre part, nous avons montré en quoi ce texte de Simone Weil n’est pas seulement pertinent pour comprendre ce contexte d’avant-guerre, mais qu’il propose aussi des analyses très fines du texte grec, qui mettent en évidence des aspects essentiels.

Bibliographie

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  • Weil, S. (2021). L’Iliade ou le poème de la force, et autres essais sur la guerre. Rivages, Paris.

2

Ce travail est issu d'une communication présentée au colloque national hongrois d'études antiques (XIV. Magyar Ókortudományi Konferencia) qui a eu lieu du 19 au 21 mai 2022 à Pécs.

3

Nous citerons cet article dans sa dernière édition française : Weil (2021), plus récente que l'édition américaine qui inclut le commentaire global le plus récent de ce texte : Holoka (2003).

6

Voir notamment Narcy (1982).

9

Il soutient ainsi que toute lecture fonctionnaliste de l'Iliade comme expression et consolidation de codes sociaux préexistants est impossible, et avance au contraire l'hypothèse que la crise qui constitue le nœud de l'Iliade est suscitée par la nature même du modèle qu'elle affecte. Voir Judet de la Combe (2013).

10

Trad. d’après Mazon (1998), et cette référence est valable pour toutes les citations de l’Iliade.

12

Nous nous reportons à la dernière édition du texte, Weil (2020).

13

Iliade, XVIII, 262.

14

En suivant la proposition de Daix (2009) 142.

17

Iliade, XXII, 356–357.

24

Iliade, XXIV, 508.

27

Iliade, XXIV, 485.

31

Iliade, III, 105.

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